Traité du baron de Wüst

Transcription intégrale

Référence

Wüst (Jean-George, baron de), L'Art militaire du partisan, La Haye, s. éd., 1768. 

 

Exemplaires consultés

§  Exemplaire conservé à la bibliothèque cantonale du canton d’Argovie (Suisse). Cet exemplaire fait partie de la collection Zurlauben. Concernant cette collection, voir les explications ICI (lien consulté le 04.11.2017).

 

§  Un des exemplaires présents au Service historique de la défense (SHD) à Vincennes (France), au sein de la Bibliothèque du Département de l’armée de terre. Le catalogue informatisé des bibliothèques du SHD est consultable ICI (lien consulté le 04.11.2017).

 

Dans la transcription ci-dessous, l’orthographe et la présentation du texte original ont été respectées. Entre crochets figurent les numéros de page du traité original et, à la suite de chaque numéro, le texte contenu à la page en question dans le traité de 1768.

Quelques illustrations de l’édition de 1768 :

 

 

 

Transcription du traité

[Page de titre :]

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L’ART MILITAIRE

DU

PARTISAN,

 

DÉDIÉ

A SON ALTESSE SERENISSIME,

MONSEIGNEUR

LE PRINCE DE CONDÉ ;

 

Par M. le Baron de Wüst, Ancien Com-

mandant des Hussards & d’une Brigade

Allemande, dans les Indes Orientales.

 

 

A LA HAYE

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M. DCC. LXVIII.

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 [Non paginé]

A Son Altesse sérénissime Monseigneur le Prince de Condé.

Monseigneur,

Lorsque les anciens Romains allaient à la guerre, ils faisaient leurs offrandes à Mars, leur Dieu tutélaire.

 

[Page suivante, non paginée]

Le Grand condé fut le Mars des Français, & vos premiers exploits ont fait connaître à la Nation, que ce Héros vit encore au milieu d’elle.

Daignez accepter les offrandes que j’ose vous faire de L’Art militaire du partisan. Soyez mon Dieu Tutélaire à la Cour & à la guerre.

J’ai l’honneur d’être avec un profond respect,

monseigneur

de votre altesse serenissime

 

                                                         Le très-humble & très-obéissant

                                                         Serviteur, le Baron de Wüst.

 

[p. 1]

PRÉFACE

Le soutien d’une monarchie ne consiste pas seulement dans l’étendue du commerce, il consiste encore dans la force militaire, particulièrement dans la bonne conduite d’un général & des officiers qui exécutent ses ordres : il est donc absolument nécessaire que tout commandant en chef & [p. 2] chaque officier, soient entièrement au fait de cet art.

Il est certain qu’en tous les temps, les plus grands coups & les plus heureux événemens [sic], arrivés dans les guerres, n’ont été que l’effet des opérations des bons partisans ; de même, les fautes qui ont été faites, ont été occasionnées, ou parce que MM. les généraux n’ont pas voulu se consulter avec leurs [p. 3] partisans dans leurs entreprises, ou, parce que des partisans habiles & entendus leurs [sic] manquaient.

Comme j’ose me flatter aujourd’hui d’être assez versé dans l’art de [sic] partisan, l’ayant exercé depuis ma jeunesse ; j’espère avoir trouvé le degré de connaissances nécessaires que doit avoir celui qui veut le devenir. Comme il lui faudrait, une ex- [p. 4] perience consommée, & par conséquent de longue haleine, je me suis proposé d’accélérer & de faciliter son ardeur & son avancement, en mettant au jour l’art militaire d’un partisan.

Les différens exemples que j’ai si souvent eu sous mes yeux, les actions que j’ai faites en cette partie, les histoires particulieres que j’ai lues, le grand [p. 5] nombre d’intrigues secrettes que j’ai trouvées dans les plus fameux guerriers, tant Grecs que Persans, tant Arabes que Romains & Gaulois ; la diversité des Langues que je possède, qui m’a donné la facilité d’entendre raconter & de lire tant de faits de cette nature, tout cela dis-je, ma [sic] fourni un moyen aisé de remplir mon objet.

[p. 6] Quoiqu’il ait paru plusieurs Traités Militaires, j’ai cru devoir donner une idée plus exacte & moins compliquée des fonctions propres à un partisan. On remarquera que je me suis attaché à développer des méthodes qui, jusqu’alors, n’ont été expliquées & suivies que fort superficiellement.

Cet ouvrage est divisé en trois Parties. Dans la premiere je [p. 7] parle des qualités qu’on exige d’un partisan, & les [sic] règles qu’il doit observer en toute occasion.

Dans la seconde, je fais le détail des espions, j’y explique la maniere de s’en procurer & de s’en servir.

Dans la troisième qui fait le corps de l’Ouvrage, sont contenues les différentes manœuvres & ruses dont un par- [p. 8] tisan peut se servir en toute circonstance, & sur-tout [sic] les principales opérations qui ont coutume de se faire pendant la guerre.

Je ne doute point que je ne sois exposé à la satyre de plusieurs Censeurs ; les uns, parce qu’ils croiront mieux dire & mieux faire ; les autres, parce qu’ils voudront critiquer pour critiquer. Mais si le lecteur envi- [p. 9] sage, premièrement, que mon unique but est de me rendre utile ; secondement, que je suis étranger, & que ne sachant la Langue Françoise qu’imparfaitement, je n’ai pu donner un tour heureux à mes pensées, m’étant seulement occupé à les faire entendre ; que d’ailleurs le sujet ne demande qu’à être traité synthétiquement : s’il observe, dis-je, ceci, il sera assez juste pour avoir de l’indul- [p. 10] gence pour mon style. Au reste si quelqu’un peut me donner des instructions touchant l’art d’un partisan, je lui aurai obligation.

 

 

[p. 11]

NOTIONS PRÉLIMINAIRES.

Le Partisan devant être regardé comme le gouvernail d’une armée, & généralement de toutes ses entreprises, conséquemment l’officier le plus nécessaire à un général, il est indispensable que ce général [p. 12] n’ignore pas l’art d’un Partisan, afin qu’il soit en état de méditer avec le sien, tous les projets qu’il doit exécuter sous ses ordres.

Tous ceux qui tendent à parvenir au grade de commandant en chef, doivent donc faire une étude particulière de cet art, en servant en tems de guere [sic] sous un habile partisan, afin de profiter de tous les évenemens, [p. 13] c’est après avoir servi sous un habile Partisan, que l’on peut être par la suite en état de commander.

Nous avons eu plusieurs héros français, qui ne se sont rendus célèbres qu’en marchant dans cette route, c’est-à-dire, en commençant par apprendre à être partisan.

Je puis citer entr’autres l’ancien héros duc de Villars ; lorsqu’il commença à servir [p. 14] en 1673, dans la guerre de Flandre ; le Maréchal de Bellefonds lui conseilla de s’adresser à un habile Partisan, s’il voulait devenir un grand général. Il suivit ponctuellement son conseil, & se rendit si expérimenté que tous ses coups glorieux, qui sont connus à l’Europe entière, l’ont immortalisé à jamais.

Je passe sous silence un maréchal de Turenne, un [p. 15], maréchal de Luxembourg ; un maréchal de Vendôme, un Lowendhal, un comte de Saxe, & plusieurs autres, dont les faits héroïques n’ont été que ceux d’un partisan.

Si je ne craignais de blesser la modestie des uns & d’exciter la jalousie des autres, je ferais mention de nos plus grands généraux, qui sont encore vivans, mais leur mérite suppléera à mon silence, & les [p. 16] immortalisera malgré eux.

Je ne parlerai pas non plus de plusieurs héros étrangers, comme d’un Charles XII, roi de Suède, d’un prince d’Orange, d’un prince Eugêne, &c. D’où ces hommes immortels ont-ils tiré l’art qui les a fait réussir avec tant de succès, sinon des partisans ? L’histoire d’Alexandre, le plus grand partisan de l’univers, étoit [sic] la lecture favorite du prince Eu- [p. 17] gêne, cet habile général l’a lue & relue jusqu’à ce qu’il l’ait sçue par cœur. Il ne se couchoit jamais sans avoir son Quinte-Curce sous sa tête.

Le roi de Prusse aujourd’hui régnant, à qui ses plus grands ennemis ne peuvent refuser le nom de Grand, réunit toutes les qualités d’un habile partisan.

Le nouvel héros de l’Allemagne, le général Laudon, [p. 18] au service de S. M. impériale-royale-apostolique, nous a fourni dans la dernière guerre beaucoup de preuves convaincantes de ce que j’avance.

L’occasion me force ici de parler de moi-même sans le vouloir. Le coup inattendu que je fis dans ma jeunesse à Prague, l’an 1744, le 26 Novembre, étant dans ce tems-là au service de Sa Majesté impériale-royale-apos- [p. 19] tolique, me le prouve à n’en pouvoir douter.

Je forçai ce jour-là avec douze hussards la prote de Strahoff à sept heures du matin, & je me suis hazardé [sic] avec ces douze hommes ; d’entrer dans la ville, où la garnison prussienne étoit d’environ huit mille hommes. Il est vrai que l’imprudence du commandant, qui retira à contre-tems ses troupes [p. 20] de toutes les portes, & de tous les postes, favorisa mon dessein ; ce dont je fus pleinement instruit la veille par mes espions. Il avoit eu ordre auparavant d’abandonner la ville le même jour ; mais il auroit dû au moins garder la porte devant laquelle étoit son ennemi, & où je l’inquiétai journellement pendant un mois. Je me hazardai plusieurs fois d’aller [p. 21] jusqu’au glacis sur le Lorenceberg, & jusqu’aux barrieres de Carlstor : ce coup, dis-je, n’étoit qu’un stratagême hardi d’un partisan, & qui me fit réussir si avantageusement, que je sauvai ladite ville de sa perte totale, lorsque tout étoit préparé pour la faire sauter après la sortie de la garnison. Je ne parle pas des différens avantages que ce coup produisit, & que [p. 22] la maison d’Autriche, ainsi que cette ville, ne pourront jamais oublier.

Mon expérience a aussi facilité mes entreprises dans les Indes orientales, lorsque j’y commandais particulièrement dans les affaires qui me furent confiées, quand il s’agit des prises d’Outremalour, de Torreor, de Viziampatnam, de même du siège de Madraz & du Grandmont le 9 Fé- [p. 23] vrier 1759, & de Tribadour, &c. Je puis me flatter d’avoir exécuté au gré de mon général, les ordres que l’on m’avoit donnés.

Comme la plûpart des généraux qui ont commandé en chef, n’ont fait d’autre attention, dans toute entreprise contre l’ennemi, qu’aux principes ordinaires, & que par conséquent il leur a été difficile de déranger ses [p. 24] manœuvres & de le tromper, puisqu’il connaissait lui-même leurs principes ; il est absolument nécessaire qu’un général se serve d’hommes qui sçachent employer des ruses entièrement inconnues, pour venir à bout de ses projets. Pour cela il a besoin d’un partisan, & doit l’être lui-même.

Il peut imiter, dans un cas particulier, le général Lau- [p. 25] don, qui, dans la derniere guerre, commença par escalader Schweidniz au lieu de l’assiéger. Cette manœuvre pourrait paraître chez quelques-uns bisarre [sic] & même téméraire. Un général, le plus expérimenté, n’auroit jamais pensé à s’y prendre de cette façon ; cependant un tel coup, pourvu qu’il soit bien combiné & prudemment refléchi, est le plus sûr, lorsque quel- [p. 26] ques moyens y donnent jour.

Il est constant qu’un général le plus consommé dans son art, ne peut jamais pénétrer les ruses, ni par conséquent s’opposer à celles d’un partisan, lorsqu’il les ignore. Ainsi chaque commandant en chef doit avoir un bon partisan, & être de concert avec lui en toutes ses entreprises, s’il veut ne pas manquer les grands coups qu’il projette.

 

[p. 27]

L’ART MILITAIRE D’UN PARTISAN.

 

PREMIERE PARTIE

Des qualités requises à un Partisan, & les règles qu’il doit observer en toutes occasions.

 

Article Premier

Le partisan doit au moins avoir le grade de Colonel, pour que [p. 28] le général puisse lui communiquer avec confiance ses projets secrets, & se consulter en même tems prudemment avec lui dans chaque affaire.

 

Art. ii

La conduite & les actions du partisan, doivent être bien connues ; ce n’est qu’après plusieurs Campagnes que le général juge de sa capacité, sur ce qu’il a déjà exécuté.

 

Art. iii

Le partisan étant connu, & son mérite étant à l’épreuve, il [p. 29] doit avoir carte blanche pendant la guerre, afin qu’il ne manque pas ses coups toutes les fois que l’occasion se présentera. Par-là, il peut faire de grands progrès, & procurer des avantages considérables, qu’il manquerait souvent, s’il était obligé d’attendre des ordres supérieurs.

 

Art. iv

Le partisan doit avoir sous ses ordres un corps de mille houssards & de cinq cens chasseurs à pied, dont il doit être chef absolu & responsable en tous événemens.

 

[p. 30]

Art. v

Le partisan doit fournir lui-même tout le nécessaire à son corps, comme chevaux, armes, habillemens, &c. moyennant un accord fait avec le ministre de la guerre, afin d’éviter l’embarras à ses capitaines & officiers d’être responsables des accidens ou pertes qui peuvent arriver durant la campagne, & pour faciliter par ce moyen ses entreprises.

 

Art. vi

Un des devoirs le plus essentiel à un partisan, est de savoir [p. 31] parfaitement la géographie, & d’avoir les cartes les plus exactes des pays qui forment le théâtre de la guerre, s’il ne les connaît pas par lui-même. Il doit aussi entendre le génie & l’artillerie, pour ne pas s’exposer mal-à-propos avec sa troupe, lorsqu’il voudrait faire des entreprises sur l’ennemi, dans des places où [sic] endroits fortifiés : tant pour savoir bien combiner la marche qu’il doit tenir, que pour connaître de quel côté le canon pourra causer le plus ou le moins de dommage.

 

[p. 32]

Art. vii

Le partisan doit avoir un mérite distingué, surtout qu’il n’ait point la malheureuse passion du vin, crainte que les ennemis ne le débauchent par cette voie attrayante, & qu’il ne s’expose par-là à mille inconvéniens fâcheux. On sait que l’ennemi ne manque jamais d’intrigues pour supplanter ses adversaires à ce sujet : ainsi le partisan qui doit garantir l’armée de toute surprise, sera surpris lui-même, & fait prisonnier avec son corps, s’il tombe dans [p. 33] ce défaut. Je puis citer ici un exemple à ce sujet.

Je sus par mes espions qu’un détachement ennemi, dont l’officier qui le commandait, avait un penchant pour cette passion, devait passer la nuit suivante dans un endroit aux environs duquel j’étais. Je n’eus rien de plus pressé que d’y envoyer un vivandier avec quelques bariques [sic] de vin. A peine celui-ci fut-il arrivé, qu’il tomba entre les mains du détachement ennemi, qui ne pensa qu’à boire & à s’énivrer. Cette inconduite [p. 34] me fit réussir si avantageusement, qu’en tombant aussi-tôt sur l’officier & son détachement, je les fis prisonniers.

Le partisan doit aussi se tenir beaucoup sur ses gardes, & se méfier du sexe en général, surtout dans les endroits où se fait la guerre, en particulier des femmes qu’il pourrait rencontrer dans ses détachemens, parce que son ennemi, plus fin que lui, qui connaîtrait en lui cette faiblesse, ne manquerait pas de se servir de ce moyen, n’en pouvant trouver d’autre pour le battre.

 

[p. 35]

Art. viii

L’intérêt est encore un grand obstacle dans un partisan, parce que s’il a cette vile passion, il ne manquera pas de se laisser corrompre à force d’argent. Il doit donc la rejetter entièrement, s’il veut mériter le titre de bon Officier.

 

Art. ix

Un partisan doit partager fidèlement & avec justice ses captures. Avec les officiers & soldats qui sont sous ses ordres, pour conserver en toute occasion leur at- [p. 36] tachement & leur zèle. C’est le vrai moyen d’être par la suite sûr d’eux dans les différentes affaires qui se rencontreront.

 

Art. x

Qu’un partisan se donne bien de garde de ne se laisser jamais attaquer par son ennemi ; mais qu’il se fasse une règle générale de le prévenir ; parce qu’en l’attaquant le premier, pourvu qu’il le fasse prudemment, il a tout lieu d’espérer d’avoir l’avantage.

 

Art. xi

Qu’un partisan instruise tou- [p. 37] jours ses officiers & ses soldats du plan projetté [sic] de ses entreprises, & des différentes manœuvres que pourrait lui opposer l’ennemi, quelque tems avant l’attaque, afin que chaque soldat se commande à lui-même dans l’action, selon qu’il observe la manœuvre de son adversaire. Qu’il leur donne un point de ralliement, en leur assignant la retraite après l’action, afin que si, en cas d’accident, sa troupe venait à être poussée & divisée par l’ennemi, elle pût trouver le moyen de se [p. 38] rallier facilement. Par ce point de réunion, un corps se soutient, & le bon ordre y règne toujours.

 

Art. xii

Un partisan ne doit jamais dîner ni lui ni sa troupe, dans l’endroit où il a déjeûné, ni souper où il a dîné. Il ne doit jamais non plus coucher où il a soupé, sur-tout dans le pays ennemi où [sic] aux environs de son armée. Par cette manœuvre, il ne peut jamais être surpris, & trompe toujours son ennemi.

 

[p. 39]

Art. xiii

Si un partisan vient à foncer avec son détachement dans le camp de l’ennemi, il doit bien observer de ne jamais attaquer ni les premiers, ni aucun de ceux qui se trouvent dans son passage & dans la route qu’il doit tenir pour parvenir à l’endroit où il a jetté ses vues, soit qu’il veuille prendre un général… enlever des chevaux, ou faire un coup qu’il a prémédité. Etant rendu à son but, il n’y doit rester que le tems nécessaire pour l’exécu- [p. 40] tion de son projet : par ce moyen il est sûr que l’ennemi ne peut pas lui boucher son passage, ni empêcher sa retraite.

 

Art. xiv

Si le détachement d’un partisan a fait des pillages où des dégats à contre-tems & sans ordre : si les habitans qui ont souffert ce dommage lui en portent leurs plaintes, il doit les leur payer généreusement. Comme il ne peut pas empêcher de pareilles bagatelles, qui d’ailleurs tiennent souvent lieu de provisions de bou- [p. 41] che, il est plus prudent pour lui, afin de ne pas diminuer l’affection de ses soldats, de faire semblant de ne pas s’en appercevoir [sic], plutôt que d’user d’une punition préjudiciable. Par-là il satisfait les uns & les autres, & ne s’expose point à manquer de vivres ni de fourages pour lui & son détachement. Il gagne par cette noble politique tous les habitans, qui semblent se faire un plaisir de lui fournir plutôt qu’à tout autre. Mais il doit avoir pour un principe exact, d’acheter ou de [p. 42] faire acheter ses provisions pour lui & pour tout son corps, & de les payer argent comptant ou en donnant des quittances valables lorsqu’il se trouve en des endroits éloignés de son armée ; sur-tout dans le pays ennemi ou derrière l’armée ennemie. Il peut se dédomager [sic] de ses frais par ses captures, qu’il doit faire transporter dans un même lieu chaque fois qu’il se fait des prises, & les faire vendre publiquement, tant pour en tirer davantage, que pour ôter à ses soldats tout [p. 43] soupçon d’intérêt & de partialité ; il doit en partager ensuite avec eux la somme totale.

 

Art. xv

Un partisan doit avoir pour règle générale de se munir de toutes provisions nécessaires dans le lieu où il fait alte [sic], pour l’alte suivante, criante de n’y pas trouver ce dont il pourroit avoir besoin. Par cette précaution il évite la découverte de sa marche, & ne s’expose point à être trahi. Il doit encore se provisionner de [p. 44] nouveau dans les villages voisins, un moment avant le départ. Enfin, il doit toujours suivre cette méthode toutes les fois qu’il va d’un endroit à l’autre.

 

Art. xvi

Qu’un partisan n’oublie jamais qu’il ne doit point s’arrêter dans les villages plus de tems qu’il ne lui en faut pour faire son alte [sic] & ses nouvelles provisions, qui doivent ordinairemt [sic] servir pour un ou deux repas. Qu’il campe toujours dans les bois ou bos- [p. 45] quets, pour mieux masquer sa force & sa marche, ainsi que sa retraite, afin d’être entierement libre, & d’être en sûreté, parce que s’il s’exposoit aux prises d’une force ennemie beaucoup plus supérieure à la sienne, il ne pourrait se défendre.

 

Art. xvii

Aussi-tôt que le partisan est arrivé le soir dans le lieu où il veut passer la nuit, il ne doit pas manquer de faire faire en terre un trou de deux pieds de profon- [p. 46] deur, sur-tout si le lieu est environné de plaines, pour entendre & sçavoir si des troupes ennemies ne marcheroient pas vers lui ou aux environs. Il doit faire poster des sentinelles sur ledit trou, pour veiller & faire ces observations jusqu’à son départ, afin de n’être pas surpris, & surprendre l’ennemi.

 

Art. xviii

Il est nécessaire qu’un bon partisan sache plusieurs langues, particulièrement celle du pays [p. 47] où se fait la guerre, afin de s’en servir en toute occasion, sur-tout lorsqu’il veut tromper les habitans des lieux. Il y parviendra encore en faisant endosser à sa troupe l’uniforme ennemi.

 

Art. xix

Qu’un partisan soit son propre espion dans les affaires délicates & dans les grandes entreprises, pour pouvoir former avec plus de sûreté le plan qu’il projette, & surprendre l’ennemi par des voyes qui lui soient entière- [p. 48] ment inconnues ; car connaissant par lui-même le terrein [sic], la position de l’armée ennemie, l’endroit de l’attaque & celui de la retraite, il ne peut manquer d’avoir un heureux succès. Le Prince Eugêne, le Prince Hilbourgshausen, & bien d’autres grands partisans, nous fournissent des exemples de ce que j’avance. Ils se sont hazardés plusieurs fois à connaître par eux-mêmes, auparavant l’attaque, le terrein, & de visiter tous les endroits, pour lever toutes les difficultés qui auroient [p. 49] pu porter obstacle à leurs entreprises.

 

Art. xx

Un partisan ne doit point se mettre en marche ni détacher ses troupes pendant le jour, si ses projets sont de grande conséquence, si ce n’est dans une nécessité. Il doit aussi éviter les plaines, afin de ne pas manquer ses coups par une sortie indiscrette [sic]. Cela se doit sur-tout pratiquer exactement dans le pays ennemi où le partisan a lieu de [p. 50] se défier des habitans des villages voisins. Il dépendra encore de sa conduite de les attirer en son parti, & il le fera s’il ne manque point à l’article XIV.

 

[p. 51]

REMARQUE.

Il seroit inutile de répéter à chaque article de cet ouvrage, qu’un partisan doit prendre strictement des connaissances de la situation des lieux où il porte les armes. Qu’il soit donc dit une fois pour toutes, qu’il doit faire ses observations & ses remarques par écrit, sur les situations & positions des pays qu’il parcourt dans ses voyages (dont je parlerai au commencement de la troisième partie.) En général, [p. 52] de tout ce qui lui paraît favorable, afin que quand l’occasion l’appellera contre ses adversaires, il sçache si cet endroit est le plus avantageux ; de même il doit observer les lieux qui lui pourraient être préjudiciables dans une attaque, afin de sçavoir par avance ceux dont il doit s’emparer, & ceux qu’il doit éviter.

 

[p. 53]

SECONDE PARTIE

Du détail des espions, de la maniere de s’en procurer & de s’en servir.

 

Avant-Propos.

Si le partisan doit être regardé comme le gouvernail d’une armée & de ses entreprises, de même les espions doivent être regardés comme le gouvernail du partisan.

Le salut d’une armée dépendant très-souvent de l’exactitude, de la vigilance, & de la fidélité d’un espion ; il en est aussi souvent la [p. 54] perte s’il manque à une de ces trois qualités. Il peut même être la cause de la ruine de deux armées adversaires, s’il sert mal, comme cela arrive très-souvent. Quoiqu’il en soit, il est toujours nécessaire de s’en servir en tems de guerre pour en tirer avantage vis-à-vis de l’ennemi.

On ne manquera pas de moyens pour s’en procurer ; les uns par attachement pour le Souverain, les autres par vengeance, & la plûpart par intérêt ; il ne dépendra, pour se les conserver, que de [p. 55] la conduite & de la bonne foi de celui qui sera chargé de ce détail. Moyennant ces deux qualités il évitera, s’il veut, tous les événemens fâcheux qui peuvent arriver.

 

Article Premier.

J’ai déjà dit dans l’article XIX. qu’un partisan doit être son propre espion pour les affaires de grande importance ; soit sur tout [sic], qu’il veuille entreprendre de foncer avec sa troupe sur un camp ou sur un corps de reserve ; [p. 56] soit qu’il veuille surprendre un détachement campé, ou au passage d’une rivière ; soit enfin qu’il veuille prendre des places fortifiées : si dans des expéditions semblables on ne se servait que d’un espion pour s’assurer de la vraye maniere de s’y prendre, on risqueroit de ne point réussir, parce qu’un espion seul ne peut être assez surveillant, pour sçavoir tout ce qui se passe chez l’ennemi, & que par conséquent il ne peut faire des rapports aussi exacts que le feroient plusieurs, [p. 57] espions au partisan, ou au général-même de l’armée. Il ne peut, dis-je, par ses propres lumières juger avec certitude par où l’on doit diriger les manœuvres pour l’entreprise, afin de porter un coup sûr. La raison de ce que j’avance est, qu’un espion n’a ni les connoissances, ni l’expérience que doit avoir un partisan. Celui-ci voyant par ses propres yeux la situation du terrein, peut profiter de mille choses auxquelles l’espion ne penserait pas.

 

[p. 58]

Art. ii

Un partisan se doit charger lui-même du détail de ses espions, & même de ceux de toute l’armée ; s’il est possible il les doit engager deux mois ou environ avant le commencement de la campagne, comme je le dirai par la suite.

 

Art. iii

Un partisan ne doit rien négliger pour s’attacher des personnes dans toutes les places du pays ennemi, & aux environs du théatre de la guerre, afin de prendre [p. 59] d’elles tous les éclaircissemens qui lui sont nécessaires dans ses vues. Il doit se créer des correspondances chez des personnes affidées, & les garantir de tout événement. Il doit tâcher d’engager sous lui des jeunes gens du parti ennemi, soit officiers, soit soldats, les gagner ensuite par de petits présents, pour savoir d’eux ou de leurs parens, ce qui se passe dans les différentes villes, villages ou autres endroits du pays ennemi ; leur promettre de grands avantages, ainsi [p. 60] qu’à leur famille, s’ils veulent se prêter à faire réussir tels & tels projets, en sollicitant leurs amis & leurs parens de rendre un compte exact, & de donner des instructions de tout ce qui se passe chez l’ennemi. Il doit garder ces jeunes gens comme un ôtage [sic], pour s’assurer par-là, & savoir journellement jusqu’à la plus petite nouvelle. Il les doit payer généreusement, & les employer plus avantageusement qu’il lui est possible, & mettre en sûreté tous ceux qui cherchent à favoriser ses desseins.

[p. 61] Cet article est la source de toutes les intrigues & de toutes les ruses dont un partisan se doit servir ; c’est de celles-ci dont émanent celles dont il doit user en toutes circonstances.

 

Art. iv

J’ai dit ci-devant, qu’un partisan doit se méfier du sexe en général, dans les endroits où se fait la guerre ; il peut cependant lui être fort utile dans de certaines circonstances, en se servant de son esprit & de ses ruses, pour venir à bout de ses entreprises.

Il doit bien observer dans le voyage : (qu’il doit faire deux où [p. 62] trois mois auparavant que l’armée soit en campagne, en visitant les lieux qui doivent être le théâtre de la guerre :) pour ne pas oublier de donner toutes les instructions nécessaires à tous ses correspondants, qu’il a établis pour lui à ce sujet, pour qu’il soit bien au fait de la maniere & des ruses, que les femmes peuvent mettre en usage (soit de leur propre famille ou alliée, ou autre gagné par l’intérêt, dont ils sont sûr de ne pas être trahis,) & pour découvrir enfin par ce moyen tous les secrets qu’il a besoin de sçavoir pour lui & pour son général.

[p. 63] Le partisan doit enfin bien instruire dans ce voyage, ses correspondants, pour se servir d’eux à propos : il doit tâcher d’engager le sexe à se lier auprès des Officiers de l’Etat-Major, Aides-de-camps ou autres chargés de quelque détail, de même auprès de Bourguemestres &c. qui reçoivent ordinairement les premiers ordres pour faire des fournitures aux détachemens, soit de chevaux, bœufs, chariots, guides, vivres &c. pour les convois destinés pour l’armée ou pour une place &c. par ce moyen, si le Partisan est instruit à temps par ses [p. 64] correspondants, l’ennemi ne peut jamais expédier ou envoyer d’une place à l’autre la moindre chose, sans qu’il ne soit exposé d’être inquiété, ou d’être pris par le Partisan.

 

Art. v

Un partisan doit toujours se faire & entretenir des espions dans l’armée ennemie ; il faut particulierement qu’il tâche de gagner quelques officiers à force d’argent, & sous la sûreté de leur avancement chez lui, afin d’apprendre par eux, les ordres qu’on donne chaque jour dans le quartier général [p. 65] ou dans les régimens particuliers, à tel ou tel détachement, pour faire telle ou telle expédition. Il doit chercher aussi à séduire beaucoup de domestiques, sur-tout ceux du général en chef, ou de ceux des officiers de l’Etat-Major, &c.

 

Art. vi

Comme les simples bourgeois qu’un partisan s’attache, ne peuvent le servir que sur des rapports ordinaires, comme d’avoir vu telle & telle troupe, tel & tel nombre d’infanterie, de cavalerie ou d’ar- [p. 66] tillerie ; leurs connaissances bornées ne leur permettant pas de l’instruire du terrein & des différentes situations du pays, suivant la Géographie ; il ne doit se servir de ces gens, que pour des ports de lettres, ou pour lui servir de guides ; & avoir toujours grand soin de les bien payer, pour qu’ils soient fidèles, & qu’il ne soit pas trahi.

 

Art. vii

Le partisan doit envoyer en plusieurs places de l’ennemi, des personnes du propre pays, [p. 67] soit sous le titre de mécontens ou de déserteurs. Il peut commettre pour cet effet des domestiques, ouvriers, &c. dont la fidélité est à l’épreuve. Ces affidés doivent servir en quelque régiment ennemi, ou se mettre en qualité de domestiques chez un officier de l’Etat-major, ou chez un commandant de troupes légères, là, par le moyen de ces gens, il aura de fidèles rapports. Il doit les instruire du temps de leur retour, (chacun d’eux doit déja en être assuré par avance) en agissant [p. 68] ainsi, le partisan ne manquera jamais de distinguer les vrais d’avec les faux rapports, & saura toujours diriger prudemment ses entreprises.

 

Art. viii

Le partisan doit donc rapprocher, les uns des autres, tous les différens rapports qui lui sont faits sur le même sujet, pour savoir si tous ses espions lui gardent une fidélité involable [sic], & connaître ceux qui ne l’a [sic] lui gardent pas. Qu’il examine avec beaucoup d’attention s’ils ne seraient point corrom- [p. 69] pus par ses adversaires pour le tromper, ou même le faire périr avec tout son corps, ce qu’on a vu arriver fort souvent. Un coup aussi fatal n’est causé pour l’ordinaire que par la négligence & le peu d’attention qu’apporte un partisan, par le trop de confiance qu’il a eu en ses espions. Il ne peut donc jamais se tenir trop sur ses gardes en ce cas, pour n’être pas la victime de l’ennemi, ce n’est qu’à son commandant, à qui il doit toujours faire part de tout ce qu’il apprend.

 

[p. 70]

Art. ix

Il est inutile de faire ici mention de la façon & de l’espèce de secret dont se doit servir un partisan pour écrire ses lettres, ainsi que de la maniere que doivent être conçues les réponses. Chacun à [sic] ses talens, & assez de connaissances dans cet art. Il doit avoir assez d’esprit, assez de ruses, pour savoir à quoi s’en tenir. Il est toujours très-utile que chacun se serve en général d’un numéro ou d’un signe quelconque, afin de connaître par-là [p. 71] si une lettre est parvenue heureusement, si elle a été perdue ou interceptée.

Je pourrais bien indiquer ici plusieurs moyens d’écrire secrettement, & que le plus rusé ne pourrait jamais deviner ; mais je croirais me manquer à moi-même, si je les citais dans mon ouvrage ; d’ailleurs ils pourraient me porter préjudice. C’est pourquoi chaque partisan doit exercer son propre génie sur cet objet. Qu’on me permette seulement de dire qu’il faut user d’autant de façons diffé- [p. 72] rentes, que l’on a de correspondans, afin que chacun d’eux ne sache point par une autre, qui nous sert dans la même occasion, ce qu’on lui a confié.

OBSERVATION PARTICULIERE.

Si un commandant en chef veut avoir de son partisan une prompte nouvelle, il peut se servir de ce stratagême : qu’il prenne un pigeon d’une maison de son quartier ou de la sienne, s’il en a, ou en temps d’Eté une hirondelle, qui ait des petits, qu’il l’envoye ensuite à son [p. 73] partisan par un courier [sic], qui, aussi-tôt qu’il l’a reçu, écrit son rapport en un volume le plus petit qu’il peut, & l’attache à un des pieds de l’oiseau qu’il lâche aussi-tôt. L’instinct naturel de cet animal ne manquera pas de le rappeller à l’endroit où il a été pris. Le commandant doit bien faire attention de s’assurer de lui à son arrivée, pour lui faire ôter le billet qu’il a au pied. C’est la voye la plus prompte & la plus sûre que l’on peut tenir à cet égard. Une expérience plusieurs fois réitérée m’en est une preuve convaincante.

 

[p. 74]

TROISIEME PARTIE

DU CORPS DE L’OUVRAGE.

Contenant les différentes manœuvres & ruses dont un partisan peut se servir en toutes circonstances & sur toutes les principales opérations qui ont coutume de se faire pendant la guerre.

Chapitre premier

Des observations que doit faire ou faire faire un partisan avant que d’entrer en campagne.

 

[p. 75]

Article premier

Il serait nécessaire que le Ministre de la guerre voulût agréer & ordonner que le partisan fît un voyage en secret (& sous un autre nom que le sien, s’il était nécessaire) dans le lieu qui doit servir de théâtre à la guerre, au moins trois mois avant que d’entrer en campagne, pour prendre connaissance par lui-même de tous ces pays, en particulier des places fortifiées & non fortifiées, du dégré [sic] de leurs forces & faiblesses par déhors & par dedans, des villa- [p. 76] ges, maisons de campagne & autres, sur les grands chemins ; des plaines, des forêts, bois, bosquets, sentiers, ravins & défilés ; des rivieres & de leur profondeur, des ruisseaux, des étangs, & enfin de tout ce qui lui pourrait être favorable, ou lui porter obstacle dans toutes ses entreprises. Quand un partisan connaît tout ce dont je viens de faire mention, l’exécution de ses projets se fait avec beaucoup plus de facilité, beaucoup plus de sûreté & beaucoup plus de succès ; soit qu’il se trouve dans un cas offensif ou défensif.

 

[p. 77]

Art. ii

C’est dans ce voyage que le partisan doit faire connaissance (comme je l’ai déjà dit dans le détail des espions) avec tous ceux qu’il croît [sic] lui être utiles ; tant avec la noblesse, qu’avec la bourgeoisie. Qu’il s’informe particulierement des personnes qui seraient ou qui desireroient être attachées à son souverain, soit par inclination, soit par le commerce, qu’il tâche de se faire parmi elles, des amis particuliers ; qu’il les engage ensuite à être ses correspondans, [p. 78] moyennant les promesses qu’il leur fait, de leur donner une rétribution, & les obliger en toutes occasions. Qu’il tâche aussi d’enrôler au service de son souverain, & sous ses ordres, plusieurs jeunes gens de familles, dont il a déjà la connaissance, pour les attacher à son corps, afin de s’en servir pendant la guerre en différentes circonstances, soit par eux directement, soit indirectement par leurs parens, amis, inclinations particulieres, &c. mais surtout, qu’il prenne prudemment [p. 79] ses précautions, & qu’il prenne garde d’être trahi.

 

Art. iii

Après cela, le partisan doit s’informer par ces nouveaux amis des personnes riches, comme des commerçans en gros, de ceux qui ont une grande quantité de grains & de fourrages, &c. afin de trouver le moyen de se servir de leurs magasins en cas de besoin.

 

Art. iv

Après que le partisan se sera procuré dans son voyage des amis, & se sera créé des correspondan- [p. 80] ces ; après qu’il les aura employé chacun au talent qui leur est propre, il doit convenir avec eux de tout ce qu’ils doivent faire, & les bien instruire sur tout ; qu’il les exhorte à veiller sur toutes les choses qui se disent, qui se font & qui se passe [sic] chez l’ennemi, afin qu’à la moindre expédition qui se ferait dans une place où dans un autre endroit, & étant, instruit de bonne heure, il pût prendre ses dimensions en conséquence, & intercepter ou faire intercepter, par ses détachemens, [p. 81] tout ce qu’on expédierait pour ses adversaires.

 

Art. v

Le partisan doit charger en particulier certaines personnes les plus fidèles entre ses amis, dans chaque ville ou places [sic], de veiller uniquement aux convois de munitions & de vivres que l’on fait après une bataille perdue, ou que l’on destine pour un corps qui assiège une place, parce que la sûreté ou la perte de cette place, dépend très-souvent de cela. La derniere guerre nous en fournit une époque au- [p. 82] thentique. Le coup glorieux & si avantageux pour la maison d’Autriche, que le général Laudon a fait, quand il a enlevé en son entier le grand convoi du roi de Prusse, qui était destiné pour le siège d’Olmutz, nous en sert de preuve. Il força par-là le roi de Prusse de lever le siège, & d’abandonner toute sa manœuvre. Je ne parle pas de l’avantage que ce monarque auroit eu d’avancer avec son armée jusqu’à Vienne, s’il avait pris Olmutz.

J’oubliais de dire qu’un parti- [p. 83] san doit instruire son général de toutes les observations qu’il a fait dans son voyage, des amis & des correspondances qu’il s’est procuré, des nouvelles qu’il reçoit chaque jour du pays ennemi.

 

Art. vi

Si le partisan s’apperçoit par les rapports qu’on lui fait, qu’il peut exécuter un grand coup, & s’il croit ne pas avoir assez de forces pour le faire, c’est à lui de demander à son général un secours suffisant pour ne pas le manquer.

 

[p. 84]

Art. vii

J’ai dit, dans un Article précédent, que le partisan doit lever dans son voyage, une espèce de carte du pays qu’il visite & dont il prend connaissance. Il en doit garder une pour lui, en remettre une pareille au ministre de la guerre, & une au général qui doit commander l’armée, pour instruire avec précision chacun d’eux de la situation des lieux. Il leur doit communiquer les correspondances, les amis & les espions qu’il a fait & placés par-tout, afin qu’ils [p. 85] prennent leurs précautions, & qu’ils fassent leurs arrangemens là-dessus.

 

Chapitre ii.

Des observations que l’on doit faire pendant la guerre.

 

Article premier

Aussitôt que la guerre est déclarée, & que le général a reçu des ordres de son souverain & du ministre de la guerre pour la campagne qui doit se faire, il est indispensable qu’il fasse venir son [p. 86] partisan pour conférer avec lui du plan projetté, ou qui doit se faire touchant les opérations qu’il a envie d’exécuter pendant la campagne. Le général doit instruire le partisan de ses desseins un mois d’avance ou d’une semaine à l’autre, ou enfin, si le cas l’exige chaque jour, afin qu’ils se consultent & qu’ils s’arrangent ensemble sur chaque projet que le général veut exécuter ; car autrement il serait difficile au partisan de le satisfaire au moment qu’il feroit connoître ses intentions. Il doit donc en être ins- [p. 87] truit assez de temps auparavant, pour prendre toutes les mesures nécessaires, afin de ne pas faire manquer les entreprises projettées.

 

Art. ii

Dès que le général se met en campagne avec son armée, le partisan doit déja avoir son corps formé, & tout prêt à commencer ses opérations, afin de profiter du premier moment favorable qui se présentera pour inquiéter & ruiner, s’il se peut, les troupes adversaires, lorsqu’elles sortent de leurs garnisons, pour aller former [p. 88] leur camp au lieu qui leur est destiné.

 

Art. iii

Le partisan doit avoir grand soin de ne pas manquer de donner des allertes à son ennemi par différents détachemens de troupes légeres, pour l’empêcher de faire sa manœuvre, & garantir par ce moyen son propre général, en lui donnant le tems de former tranquillement son camp.

 

Art. iv

Sitôt que le partisan est instruit par ses amis, correspondans ou [p. 89] espions du lieu où l’ennemi a levé ou veut faire lever des magasins ; du jour que les transports des vivres ou fourrages doivent se faire pour l’armée ; de l’endroit pour lequel on les destine. Il doit sur le champ faire son possible pour intercepter, brûler ou arrêter de maniere quelconque, tous les convois. Il ne doit pas aussi négliger, à quelque prix que ce soit, de mettre ou de faire mettre le feu aux magasins déjà formés. Il force par-là l’armée ennemi de retarder beaucoup plus longtemps son [p. 90] campement. Pendant ce tems, son propre général peut avancer dans le pays ennemi & commencer à faire ses opérations, sans craindre d’être inquiété de ses adversaires. Ce principe doit être regardé comme une manœuvre de la plus grande importance, parce qu’il peut procurer les plus grands avantages.

 

Art. v

Comme la prudence d’un général doit toujours lui faire observer tout le ménagement qu’il doit avoir pour son armée, afin de ne pas exposer ses troupes mal-[p. 91] à-propos à des fatigues continuelles, en les envoyant par petits détachemens contre l’ennemi qui l’inquiète ; il est nécessaire qu’il ait une entiere confiance en son partisan, pour le laisser agir librement. Il doit seulement lui confier & lui faire remarquer ce qui doit se faire dans le plan des opérations générales qui doivent être exécutées. Il doit lui indiquer le tems, & le prévenir un mois ou une semaine d’avance, comme je l’ai déjà dit, suivant la position de l’ennemi. S’il arrive quelque chose [p. 92] de nouveau dans l’une des deux armées, ou si le général trouve à propos, suivant les rapports qu’il reçoit de son partisan, ou d’autres personnes affidées, de changer ses desseins, ou s’il veut former un autre projet ; enfin, quelque chose qu’il arrive, il doit toujours en instruire son partisan, afin que celui-ci prenne ses précautions, tant pour les vivres & fourrages, que pour les ordres qu’il doit donner à ses officiers sur des vûes qui sont projettées. S’il arrive que le partisan ait besoin d’un renfort [p. 93] pour quelque chose que ce soit, qu’il ne perde point de temps pour demander le secours qui lui est nécessaire ; il doit, comme j’ai déja dit, garantir l’armée de tout événement fâcheux, autant qu’il lui est possible, lui épargner tous les mouvemens & toutes les peines inutiles. Un partisan qui a sous ses ordres mille houssards & cinq cens chasseurs à cheval, qui servent aussi à pied, peut bien, lorsqu’il entend son métier & qu’il a de bons officiers, exécuter tout ce que son art exige de lui ; & mettre l’ar- [p. 94] mée à couvert des insultes de l’ennemi. Il est vrai qu’il est obligé d’essuyer avec son corps des fatigues sans nombre, pour les garantir de tous côtés, & faire en même tems les opérations particulières propres à son art ; mais il doit se croire bien dédommagé par l’honneur d’être utile au monarque & à la patrie qu’il sert, ainsi que par les récompenses qu’il en peut espérer ; il peut encore se dédommager par des prises qu’il doit savoir faire.

 

[p. 95]

REMARQUE PARTICULIERE.

Il ne doit pas être difficile à un partisan de découvrir une infinité de moyens pour faire mettre le feu dans tous les magasins de l’ennemi, de quelque nature & de quelque espèce qu’ils puissent être ; soit qu’ils soient dans des plaines ou près des villages, ou proche des places fortifiées ; soit qu’ils soient dans des places mêmes. Son génie, les ruses & les intrigues que son art exige, doivent lui fournir assez de stra- [p. 96] tagêmes pour en venir à bout.

Dès qu’un magasin vient à brûler & à mettre les habitans du lieu en allarme, il faut que le partisan les mette en désordre par plusieurs attaques, en les inquiétant par différens côtés, pour les empêcher d’éteindre le feu ; & cela jusqu’à ce qu’il voye qu’il n’y a plus de remède pour qu’ils puissent le sauver. Le partisan doit toujours suivre cette méthode en pareil cas, en profitant du dérangement & du trouble qu’il cause par des pertes aussi considérables à son ennemi. Il peut, en profitant [p. 97] de ce désordre, faciliter ses entreprises, mettre les garnisons ennemies, ainsi que leurs détachemens, dans les plus grands maux ; enfin il peut, au préjudice de l’ennemi, procurer le plus grand avantage à son parti. Il est à présumer que celui qui commande, soit l’armée en chef, soit une place, soit un corps détaché, ne manquera pas de prendre toutes les précautions imaginables pour empêcher que l’ennemi ne mette le feu dans ses magasins, puisque le salut de l’armée dépend presqu’in- [p. 98] dispensablement de cela : on a beau y veiller avec le soin le plus exact, on ne peut trop s’en garantir.

Mais il n’est pas impossible à un bon partisan d’embrâser ceux de son ennemi ; & en cas qu’il survint une trop grande difficulté, il doit imaginer des ruses assez puissantes pour en venir à bout. Je rapporterai entr’autres une maniere, dont je me suis servi une fois à ce sujet : je fis acheter trois chats dans le village où était un magasin de foin ; après je m’approchai autant qu’il me fus [p. 99] possible dudit magasin, faisant porter avec moi ces trois chats. Je les fis tremper jusqu’au col dans de l’eau-de-vie. Je fis mettre le feu à leur poil, puis je les lachai. Comme il est naturel qu’un chat que l’on a pris dans un endroit, y retourne aussi-tôt qu’il est libre, & d’autant plus que cet animal se sentant brûler, cherche du soulagement, en voulant se cacher dans le foin ou dans la paille ; ils ne manquerent pas d’aller se réfugier dans ledit magasin qui était leur retraite la plus proche. Cet [p. 100] artifice me réussit si bien, que le magasin fut allumé en deux différents endroits par deux de ces trois chats, & il l’aurait été en trois, si l’un des chats ne fût pas mort en chemin. Enfin il fut brûlé & réduit en cendre.

Il est à remarquer que dans de pareilles entreprises, il faut observer l’heure où l’ennemi ne peut être prêt à éteindre le feu aussi-tôt qu’il est allumé.

 

[p. 101]

Chapitre iii.

Observation que doit faire le partisan sur son armée campée, ainsi que sur celle de l’ennemi.

 

Article premier

Le partisan doit sans cesse veiller pour faire éloigner de son armée les troupes légères ennemies ; afin qu’elle ne soit pas exposée, & qu’elle ne soit pas obligée de se mettre souvent sous les armes pour les repousser ; ce qu’on est dans le cas de faire à la moindre allerte que donnent les troupes légeres.

 

[p. 102]

Art. ii

Le partisan doit se servir de toute la force de ses troupes contre l’ennemi, lorsqu’il est campé. Il les doit partager en plusieurs détachemens. C’est alors qu’il doit user de toutes les ruses, que sa prudence & sa subtilité lui suggèrent, pour mettre continuellement l’allarme dans le camp de l’ennemi, en l’attaquant de toutes parts, autant qu’il lui est possible. Pour cela, il faut qu’un détachement suive presque toujours l’autre, & que l’officier qui commande chaque [p. 103] détachement, n’attaque jamais le même côté ou le même endroit que doit attaquer ou qu’aura attaqué un autre.

Qu’on se rappelle ici les regles que j’ai prescrites ci-dessus touchant cet article ; & qu’on ne s’arrête que quelques minutes plus ou moins, selon qu’il est nécessaire, pour inquiéter l’ennemi.

 

Art. iii

Si le partisan est parfaitement instruit de la position du camp de l’ennemi, & s’il croît [sic] pousser plus loin ses attaques avec succès, & [p. 104] entreprendre un coup plus hardi que ceux qui ont coutume de se faire ordinairement ; il doit donner à ses espions des facilités, indiquer les moyens de mettre du feu dans tous les quartiers de l’armée où il prévoit faire quelque ravage ; faire embraser les petits magasins de fourrage, plus particulierement dans le lieu où il y a différens régimens de cavalerie, & où se tiennent les chariots & l’artillerie, comme aussi de faire allumer beaucoup de tentes, pour profiter de ces momens (car ceci [p. 105] sert de signal) afin d’exécuter le projet formé. Il est certain que moyennant cela, on aura beaucoup plus de facilité ; & on trouvera beaucoup moins de résistance pour venir à bout de ses entreprises, parce que l’ennemi est occupé aux affaires intérieures de son armée.

 

Art. iv

Si le partisan se fait un devoir d’agir ainsi toutes les fois qu’il se présentera une occasion favorable, en fatiguant continuellement l’armée ennemie ; il l’a peut ruiner [p. 106] par la désertion qu’elle est forcée de faire. L’année 1744, nous en fournit une époque : Le roi de Prusse perdit à Parduwitz en Bohème, plus de trente mille hommes qui déserterent de son camp, parce qu’ils étaient sans cesse harcelés par les troupes du partisan Autrichien.

 

[p. 107]

Chapitre iv.

Des observations que doit faire un partisan sur la marche de son armée & sur celle de l’ennemi.

 

Art. i

Il est nécessaire qu’un général instruise son partisan au moins vingt-quatre heures avant qu’il décampe, chaque fois qu'il veut changer son camp, afin qu’il puisse prendre ses mesures, & mettre son chef à couvert de l’ennemi, particulierement des troupes légeres, pendant qu’il est en marche, sur- [p. 108] tout, lorsqu’il a des bois ou des défilés à passer.

 

Art. ii

Le partisan doit veiller avec la derniere exactitude pour savoir, par ses espions, le jour précis que l’ennemi ou un corps détaché change son camp, & l’endroit où il veut camper. C’est là le moment le plus favorable pour lui causer de grands dommages, en l’attaquant avec différens détachemens, en tête, en queue & en flanc ; & en s’emparant de ses bagages. De semblables manœuvres & de pa- [p. 109] reilles circonstances, doivent être assez connues à ceux qui sont accoutumés de faire la petite guerre ; c’est pourquoi le partisan doit se servir de ruses qui sont ignorées ; c’est de ces ruses qu’il tire presque toutes ses forces ; elles sont le moyen le plus sûr pour tromper l’ennemi ; parce que le plus savant ne peut les deviner.

 

[p. 110]

Chapitre v.

Des observations que le partisan doit faire, lorsque l’Armée a une riviere à passer.

 

Art. i

Un général doit observer ici à l’égard de son partisan, la même règle déjà prescrite dans le chapitre quatrième ; il doit l’instruire deux ou trois jours d’avance, quand il veut faire passer une riviere à ses troupes, sur-tout lorsqu’il est obligé d’employer beaucoup de temps pour y jetter un [p. 111] pont, afin que le partisan puisse, avant son passage, se rendre maître de la riviere, en divisant sa troupe à droite & à gauche du côté par lequel le général veut passer, de peur que l’ennemi ne s’y oppose. Autrement une armée serait beaucoup plus exposée en de telles circonstances, particulierement lorsque le passage est environné de bois ou de bosquets, où l’ennemi pourrait être en embuscade, comme encore lorsqu’il se trouve des villages aux environs, où il pourrait dresser des batteries. Il [p. 112] est du devoir & de la prudence du partisan, de visiter ou faire visiter ces lieux, pour voir s’il n’y aurait pas quelques détachemens cachés, & pour garantir l’armée de tout événement fâcheux.

 

Art. ii

Dès que le partisan a appris par ses espions que l’armée ennemie doit passer une riviere dans sa marche, lorsqu’elle change son camp, & l’endroit où elle veut aller se camper de nouveau, il doit aussi-tôt rassembler son corps, & donner des ordres en conséquence aux [p. 113] officiers. Il faut qu’il leur assigne les endroits où ils peuvent se cacher un jour avant le passage, si le tems le permet. C’est dans cette occasion que ses chasseurs lui doivent être plus utiles : il les doit placer de l’autre côté de la riviere, hors la vue de l’ennemi, soit dans les villages voisins, dans les bois, &c. s’il y en a. Il est à propos qu’il convienne avec ses officiers d’un certain signal, pour que les uns paroissent après les autres avec leurs détachemens afin d’inquiéter l’ennemi, qui [p. 114] est au moment de passer. Enfin, il doit tout faire contre l’armée adversaire pour empêcher ce passage, & garantir la sienne propre. Je ne m’expliquerai pas ici plus clairement. Je sais par expérience les intrigues dont un partisan peut se servir, pour s’opposer avec succès au passage, & pour causer beaucoup de dommage à l’ennemi, en lui enlevant ses bagages, & en le forçant de rétrograder, en jettant du feu sur les derniers bâteaux.

 

[p. 115]

Chapitre vi.

De ce que doit faire un partisan, lorsque son armée arrive dans le lieu destiné pour son camp.

 

Comme c’est dans ces circonstances qu’une armée est beaucoup exposée aux attaques de l’ennemi, en particulier à celles des troupes légeres ; le partisan doit mettre tout en œuvre pour qu’elle en soit à couvert ; parce que c’est dans ce moment que chaque soldat est occupé & employé à mille ouvrages nécessaires pour former le [p. 116] camp. Aucun d’eux ne prévoit alors les surprises qui peuvent lui porter préjudice, ou du moins y pense peu ; & en conséquence il ne peut se tenir sur ses gardes. C’est dans le fort de ses occupations qu’une descente de troupe ennemie ferait beaucoup de ravage, si elle venait à foncer dans le nouveau camp ; car on ne pourrait lui opposer des défenses vigoureuses. Le partisan étant instruit de l’endroit où l’on doit camper, doit donc bien veiller pour mettre en sûreté l’armée, contre de sembla- [p. 117] bles événemens. S’il s’apperçoit que quelque détachement ennemi cantonne aux environs, il le doit prévenir en l’attaquant le premier, pour l’empêcher de tomber sur elle.

On verra dans le Chapitre dix-septième, art. 5, la conduite que doit tenir le partisan, & les manœuvres qu’il doit employer contre l’ennemi en pareil cas.

 

[p. 118]

Chapitre vi. [numérotation fautive : il s’agit du chap. vii].

De la maniere dont doit s’y prendre le partisan, pour faire décamper un corps de réserve ou détachement ennemi, qui est dans un lieu qui lui porte obstacle pour l’exécution de son projet.

 

Le partisan doit se servir en général de ruses extraordinaires & bien combinées ; il doit tâcher de gagner quelques paysans des villages voisins de son ennemi campé, une ou deux lieux [sic] à l’entour ; ceux qui ont été gagnés, doivent cou- [p. 119] rir à l’un « & l’autre détachement, demander un prompt secours, parce que l’ennemi a fait une descente chez eux, qu’il est en tel & tel nombre, qu’il demande des fourrages & des vivres, des chevaux, des voitures, &c. & que le bourguemestre ou autre l’amuse, en attendant des forces pour le chasser ».

De pareils rapports donnent l’allerte, & chaque commandant envoie, comme il le doit, au moins quelques patrouilles ou un détachemens [sic], relatif à la force qu’il [p. 120] a ; ou il y va lui-même avec toute sa troupe, pour faire déguerpir l’ennemi & sauver le village. De quelque maniere que ce soit, le partisan a toujours lieu d’en profiter.

Le partisan peut encore se servir de ce stratagême : « écrire des ordres supposés à ses propres officiers pour se rendre tel ou tel jour, à tel [sic] & telle heure, en tel ou tel endroit, où il se joindra à tel officier de son corps, pour telle opération, & que lui-même s’y trouvera aussi ».

[p. 121] Le partisan doit choisir pour porteur de semblables lettres, des personnes ou par trop simples ou par trop zélées, s’il est permis de parler ainsi. Il doit leur assigner un chemin où elles ne manqueront pas de tomber entre les mains des patrouilles ou des détachemens qu’on veut faire déloger, afin qu’elles soient prises & examinées, & que les lettres supposées qu’on leur trouvera, puissent être interceptées. Le partisan doit envoyer d’autres espions après ceux-là (mais inconnus aux [p. 122] premiers) pour les observer, & savoir si l’ennemi agit en conséquence de ces ordres supposés ; savoir, s’il fait mettre en marche tout son corps ou un détachement seulement. Il faut qu’un ou plusieurs de ces derniers espions reviennent bien vîte, pour faire au partisan le rapport de ce qu’ils ont vu. Il doit statuer là-dessus ce qu’il a à faire, & se mettre en marche pour pouvoir profiter promptement de l’occasion qui se présente à l’exécution de son projet.

[p. 123] Il n’est pas dit qu’il doive se servir à la lettre de ces intrigues ; il y en a mille autres qu’il n’est pas difficile d’imaginer.

 

[p. 124]

Chapitre viii.

Des moyens que peut prendre le partisan pour forcer une armée entiere à décamper, lorsque son général à des vûes de conséquence, ou veut livrer un combat ; ce qu’il ne pourrait faire, si l’ennemi n’était contraint d’abandonner le lieu où il est retranché.

 

Art. i

Le partisan doit faire ensorte [sic] de couper à l’ennemi tous les vivres, fourrages ou autres munitions nécessaires, soit que ces munitions [p. 125] viennent des places éloignées, soit des villages voisins qui lui fournissent chaque jour des rafraîchissemens.

 

Art. ii

Le partisan ne doit rien négliger pour faire brûler en même temps, dans les places & villages des environs, tous les magasins, afin d’empêcher & d’intercepter toutes les provisions dont le camp ennemi a besoin.

 

Art. iii

Après que le général a communiqué ses desseins à son partisan, [p. 126] & qu’il est convenu avec lui du jour & de l’heure qu’il veut exécuter son entreprise ; il peut se servir, à peu de chose près, de la méthode prescrite dans le premier & second article du Chapitre vii, par exemple, d’expédier à son partisan ou autres officiers, commandans de quelques détachemens, des ordres supposés pour faire telle & telle démarche, &c. donnant à entendre à l’ennemi qu’il a dessein d’attaquer ou d’assiéger une telle place, ou d’entreprendre toute autre chose. Ces ordres qui [p. 127] ne sont qu’apparens, étant interceptés, comme j’ai dit, & le général ennemi les croyant vrais, il ne manquera pas de chercher tous les moyens d’obvier au [sic] prétendus projets de son adversaire, sur-tout s’il voit qu’il fasse quelques marches & contremarches avec son armée.

 

Art. iv

Le partisan doit en ce même temps envoyer plusieurs soldats au camp ennemi, même des sergens, ou toutes autres personnes fidèles & cautionnées, pour s’en servir [p. 128] au moment de l’attaque, & pour lui rapporter ou lui faire savoir ce qui se passe dans l’armée opposée ; il faut faire ensorte de clouer les canons de l’ennemi dans l’endroit où la cavalerie peut foncer ; tâcher de gagner à force d’argent ou sous d’autres promesses, quelques hommes de l’artillerie ennemie, afin de s’en servir pour le même objet.

 

Art. v

Le partisan doit faire exécuter, quelques minutes auparavant, par ses espions ou autres, tout ce que [p. 129] j’ai déjà fait remarquer, Art. iii, Chapitre iii. C’est par ce moyen qu’il peut forcer l’ennemi de décamper, & procurer à son général la facilité de lui livrer, avec grand avantage, un combat au même instant.

 

Chapitre ix.

Des observations que le partisan doit faire lorsque son général donne des ordres aux troupes pour aller fourrager.

 

Comme les troupes légeres, & [p. 130] quelquefois de gros détachemens de cavalerie attendent des nouvelles de leurs espions qui leur marquent le jour & le lieu où le général doit envoyer ses troupes aux fourrages, afin de profiter d’une occasion si favorable pour enlever les fourrageurs & les fourrages, sur-tout quand l’escorte n’est pas nombreuse. Il trouve par-là moyen de tirer partie de l’un & de l’autre. Il est donc nécessaire que le général prévienne le partisan du jour & du lieu où se doit faire le fourrage, afin qu’il [p. 131] puisse en éloigner les troupes légeres & les détachemens ennemis, & garantir les siennes de tout accident.

Le partisan doit bien faire veiller ses espions, pour savoir le jour & connaître le lieu où l’armée ennemie envoie fourrager. Il faut tâcher de connaître le nombre d’hommes que contient chaque régiment, ainsi que la force de leur escorte, comme aussi la distance de leur armée ; après cela, le partisan qui est sensé [sic] connaître déja le pays, doit former promp- [p. 132] tement son projet, selon que lui suggere sa prudence ; & attaquer tous les fourrageurs avec leur escorte au moment de leur retour (car ce serait une témérité de commencer l’attaque, lorsqu’ils ne font qu’aller au fourrage, parce qu’ils sont tous en état de se défendre) pour lors le partisan n’a que l’escorte à craindre ; les autres étant trop chargés pour se mettre à couvert des coups de leurs adversaires.

Outre la perte qu’il cause à son ennemi, il peut encore profiter [p. 133] du fourrage qu’il lui enleve, & en soulager sa propre armée. Il est donc essentiel qu’un partisan fasse tout ce qui dépend de lui pour détruire les fourrageurs, afin de mettre leur armée dans la souffrance. Qu’il tâche encore dans cette [sic] intervalle, de faire brûler le restant de leur [sic] magasins.

 

[p. 134]

Chapitre x.

Des observations que doit faire un partisan, lorsque la cavalerie ennemie va faire abbreuver ses chevaux.

 

Article premier

Le partisan ayant été informé ou connaissant la distance qu’il y a entre le camp de cavalerie ennemie & la riviere, ou l’étang où il sait qu’elle a coutume de faire boire ses chevaux, connaissant bien aussi la nature du terrein adjacent [p. 135] à cette riviere ou à cet étang, de même l’heure à laquelle on a coutume de les mener à l’eau ; il doit ensuite partager son corps en plusieurs détachemens pour leur couper le chemin à leur retour ; ensorte qu’ils ne puissent pas leur échapper. C’est dans ces circonstances que le partisan a le moyen de faire un bon jeu & des captures avantageuses.

 

Art. ii

On voit parce que [sic] je viens de dire, qu’elles [sic] précautions doit prendre le commandant de la ca- [p. 136] valerie, en donnant des ordres aux officiers de se tenir sur leurs gardes & de faire veiller & examiner auparavant que de faire abbreuver les chevaux, les lieux circonvoisins, de peur que l’ennemi les surprenne, & ne les enleve, sur-tout quand l’abbreuvoir est beaucoup éloigné du camp.

 

[p. 137]

Chapitre xi.

De ce que doit observer le partisan lorsque l’artillerie ennemie met ses chevaux & ses bœufs au verd.

 

Article premier

Le partisan doit bien s’assurer par ses espions du lieu où l’artillerie ennemie fait mettre ses chevaux & ses bœufs à l’herbe, ainsi que de la riviere où autres endroits propres à les abbreuver, afin de prendre des voies favorables pour les enlever, ou les faire tuer s’il [p. 138] ne peut s’en emparer. Une pareille perte contraint l’ennemi de retarder sa marche, s’il a dessein de s’y mettre ; le force très-souvent d’abandonner entièrement son projet, étant hors d’état de pouvoir se servir de son artillerie.

 

Art. ii

Si le partisan est venu à bout de causer cette perte à l’ennemi, il doit ensuite bien faire veiller & empêcher qu’il ne reçoive des villages voisins, de quoi se dédommager de ce qu’il vient de perdre. Il doit si bien prendre ses [p. 139] précautions là-dessus, que tous les convois qu’on destine à ses adversaires, soient arrêtés.

 

Chapitre xii.

Des observations que doit faire un partisan à l’égard des fours que l’armée ennemie a fait bâtir.

 

Après que le partisan connaît les différens endroits où les fours de l’ennemi sont établis pour cuire le pain d’amunition, nécessaire à l’armée ; il doit faire son possible pour gagner autant qu’il pourra [p. 140] de boulangers, & les engager à déserter ; & en cas qu’il ne le puisse pas ainsi, les faire enlever par force, s’il le peut ; ensuite faire ruiner les fours, brûler les farines. Un événement aussi dangéreux pour l’armée ennemie, la force à une désertion, & l’empêche d’entreprendre l’exécution des desseins qu’elle auroit pu former. Il l’oblige par-là de lever le camp. Il doit aussi dans ce moment mettre tout en pratique pour intercepter, ou du moins faire ensorte qu’on ne lui expédie [p. 141] des convois, de quelque endroit que ce soit.

Il doit faire attention à cet article, toutes les fois qu’il se trouvera en pareil cas. Quand il a exécuté avec succès une pareille entreprise, qu’il fasse aussitôt le rapport à son général, parce que ce dernier peut avoir des vûes, qui ne manqueraient pas de lui être avantageuses, en profitant à propos du désastre arrivé à l’ennemi.

 

[p. 142]

Chapitre xiii.

Des ôtages.

 

Après que le partisan a reçu de son général des instructions & de strictes indications des places ou villes ennemies, qui lui sont redevables de quelque somme, ou qu’il veut mettre à contribution ; après qu’il a été informé de la demeure de différens princes ou Seigneurs de ces places & de ces villes particulièrement de ceux qui sont les plus riches, ou qui sont fortement attachés à leur patrie, soit [p. 143] par inclination, soit par les charges ou les postes qu’ils occupent ; il doit mettre tout en œuvre pour tâcher d’en prendre quelques-uns en ôtage. S’il réussit, il procure à son général des avantages de la plus grande conséquence ; parce qu’il peut se servir d’eux en toutes circonstances, nécessitées, comme pour tirer une rançon des villes qui voudraient les ravoir, ou pour l’échange de quelques-uns, que l’ennemi retiendrait chez lui.

 

[p. 144]

Chapitre xiv.

Des observations que doit faire un partisan au sujet des hôpitaux ennemis.

 

Article premier

Le partisan ne doit jamais s’amuser à faire des tentatives pour l’enlevement d’un hôpital ennemi, à moins qu’il n’ait appris par ses espions, qu’un général ou autre officier de distinction ne s’y trouve incommodé ; il doit seulement s’occuper à le faire enlever lui seul, autrement il risquerait beaucoup [p. 145] pour gagner moins que rien. En effet il serait obligé pour enlever tout un hôpital, d’employer de grandes forces, de faire de grandes dépenses pour les voitures & les chevaux nécessaires à un pareil transport, & en supposant qu’il réussisse dans son entreprise, tous les malades ou blessés qui ne peuvent causer le moindre dommage, ni à lui ni à son armée, lui seraient beaucoup à charge dans la retraite, & ensuite à son souverain. D’ailleurs il peut arriver qu’il soit attaqué lui-même dans cette ac- [p. 146] tion, & qu’il soit obligé d’abandonner son entreprise, en se retirant avec beaucoup de perte.

 

Art. ii

Tous ces gens étant bien éloignés d’être utiles à leur souverain, puisqu’ils ne sont qu’à sa charge ; ce serait rendre un service à son propre ennemi, de lui ôter un fardeau qui ne fait que le gêner, sur-tout lorsqu’il est dans un endroit, où les vivres ou autres munitions nécessaires sont rares.

 

[p. 147]

Chapitre xv.

De ce que doit observer un partisan à l’égard de sa propre conduite, & de la réserve qu’il doit avoir en toute occasion vis-à-vis de l’ennemi.

 

Lorsque le partisan attaque son ennemi en quelques circonstances que ce soit, il ne doit jamais lui faire quartier. Qu’il ne s’amuse point à vouloir faire des prisonniers, si ce n’est lorsque ses forces sont supérieures à celles de ses adversaires, & qu’il n’a plus d’attaques dangéreuses à craindre de [p. 148] leur part ; autrement il s’ôterait à lui-même sa force, par la nombreuse escorte qu’il serait obligé de donner pour conduire en lieu de sûreté, les prisonniers qu’il aurait fait pour lors. Il serait exposé à être pris lui-même, s’il venait à être attaqué par un détachement qui le poursuivrait, pour racheter, par sa défaite, les prisonniers.

 

[p. 149]

Chapitre xvi.

De ce que doit faire le partisan quand les vivres, fourrages, chevaux, bœufs, &c. lui manquent, & qu’il n’a point d’argent pour en avoir.

 

Article premier

Lorsque le partisan fait ses opérations dans le pays ennemi & derriere son armée, il doit faire contribuer autant qu’il peut, & tâcher de prendre en ôtage, différens particuliers des plus riches, comme j’ai dit ci-dessus. Il doit réitérer cela autant de fois qu’il [p. 150] lui est possible & qu’il en a besoin.

 

Art. ii

Le partisan doit faire ensorte de s’emparer à dix lieues à la ronde ou environ, de tous les chevaux & bœufs de l’armée ennemie, ainsi que de ceux des paysans, afin qu’elle ne puisse transporter les magasins & les autres choses nécessaires ; & pour qu’elle ne puisse les employer à d’autres usages ; cela porte beaucoup de préjudice à l’ennemi, particulièrement après une bataille perdue, où il a besoin plus que ja- [p. 151] mais de ces animaux, soit pour sa retraite, soit pour faire transporter ce qu’il a pu sauver après sa défaite. Le partisan tire un double avantage de cette capture, parce qu’elle peut servir pour l’entretien de sa propre armée, au préjudice de celle de ses adversaires. Il doit aussi en même temps enlever tous les fourrages s’il est possible, & les faire conduire à son camp par des chemins sûrs. Il ne doit pas hésiter à prendre, s’il en est besoin, de grands détours ; & s’il ne peut faire tout emporter, qu’il fasse [p. 152] mettre le feu au reste. Par-là, il met l’ennemi dans une espèce de disette, & hors d’état de faire aucune exécution.

 

Chapitre xvii.

Des observations que doit faire un général avec son partisan, lorsqu’il veut livrer un combat à l’ennemi.

 

Article premier

Comme il y a plusieurs manieres d’attaquer une armée & de lui livrer bataille ; il est nécessaire que [p. 153] le général instruise son partisan de celle dont il veut se servir, & qu’il soit bien de concert avec lui, de quelque façon qu’il veuille former l’attaque, pour ne pas manquer la victoire. On ne sait que trop, que le salut de l’armée victorieuse & la ruine de l’autre, dépendent très-souvent d’une bataille gagnée. Il s’ensuit même de la tranquillité d’un état & le trouble de l’autre. En effet, un combat remporté avec avantage sur l’ennemi, procure pour l’ordinaire la [p. 154] paix la plus avantageuse à l’état du souverain victorieux, & force le vaincu de lui accorder malgré lui l’objet de ses demandes.

Quand le partisan est entièrement informé des vûes de son général, & qu’il sait qu’il cherche tous les moyens de livrer un combat à l’ennemi ; il doit connaître, autant qu’il se peut, le terrein des environs de l’armée adversaire. Il doit se poster derriere elle, à droite ou à gauche, ou enfin dans le lieu qu’il juge le plus favorable pour faire agir sa force, sans être gêné ; [p. 155] car s’il ne trouvait aucune position propre pour manœuvrer, comme il le doit, & selon que les circonstances l’exigent, le général serait exposé à sacrifier beaucoup, sans qu’il eût lieu d’espérer de tirer le moindre avantage.

 

Art. ii

Entre les différens combats qu’un général peut livrer à l’ennemi, je commencerai par celui qu’il peut lui donner en son camp, soit qu’il soit retranché ou non. Le partisan, pour faciliter les attaques que doit faire son général, [p. 156] doit d’abord observer ce qui a été dit à ce sujet dans l’art. ii & ii, du Chap. iii, en exécutant de point en point toutes les manœuvres qui y sont détaillées, ainsi que plusieurs autres que son génie lui doit fournir. Si le général ne manque pas de profiter des désordres que le partisan doit avoir causé chez l’ennemi, il a tout lieu d’espérer que la victoire lui sera favorable. Il doit se servir de toute la force de sa cavalerie au commencement de l’attaque.

 

[p. 157]

Art. iii

Si le général veut livrer une bataille à l’armée ennemie en marche, il peut avoir recours au Chapitre iv, Article ii ; mais il doit encore connaître sa position & son état, ce qu’elle a ou ce qui lui manque de munitions en général ; celles qu’elles peut espérer des places circonvoisines & autres. Qu’il tâche de pénétrer dans ses desseins, & de ne pas ignorer les projets qu’elle forme contre lui. Le partisan doit savoir les mêmes choses, & tâcher d’en apprendre cha- [p. 158] que jour de nouvelles. C’est le moyen de prévoir la route qu’elle doit tenir & les lieux dont elle veut s’emparer, si elle vient à décamper. Le partisan étant une fois sûr du jour qu’elle se met en marche, il doit aussi-tôt en prévenir son général, pour ne pas manquer son coup. Si le partisan n’a pas des troupes suffisantes pour faire réussir ses vûes, qu’il demande sur le champ, avant que la marche de l’ennemi soit commencée, un renfort de trois ou quatre mille chevaux. Après cela, qu’il attaque à [p. 159] la fois les différentes colonnes de l’armée ennemie, en les inquiétant tantôt par la tête, tantôt en flanc, tantôt en queue, où [sic] par-tout ces endroits à la fois ; ce qu’il fera en divisant son corps en plusieurs détachemens. Il faut toujours la retarder par des attaques souvent réitérées, jusqu’à ce que toute l’armée de son parti vienne à tomber sur celle de l’ennemi, & la forcer à un combat. Le partisan doit déjà savoir si l’ennemi a de petites rivieres ou des ruisseaux à passer, afin de s’opposer [p. 160] à propos à son passage. S’il arrive que quelque corps de l’armée ennemie soit en déroute, ou prenne la fuite, il ne doit pas manquer de le poursuivre avec chaleur, pour le faire prisonnier, & tâcher de ruiner ainsi toute l’armée, lui & son général.

 

Art. iv

Si l’armée ennemie a une riviere considérable à passer, & qu’il exige beaucoup de tems pour que toutes ses troupes pussent parvenir à l’autre bord, comme quand elle ne peut y jetter plusieurs ponts à [p. 161] la fois ; si le général veut lui livrer un combat dans ces circonstances, il doit en prévenir son partisan, afin qu’il puisse agir conformément à ses vûes ; ce qui ne manquera pas de réussir, s’il observe ce qui a été dit à l’Article ii du cinquième Chapitre. Le général étant instruit de la situation des lieux, & de tout ce qui peut lui être favorable ou lui porter obstacle ; il ne doit pas laisser échapper le moment heureux auquel son partisan aura mis dans l’armée ennemie le plus grand désordre qu’il aura pu, & [p. 162] qu’il aura empêché le passage, afin de tomber tout à coup sur elle, & lui livrer un combat qui ne peut que lui être désavantageux dans des circonstances aussi critiques pour elle.

 

Art. v

J’ai dit ci-dessus qu’une armée qui arrive dans le lieu destiné pour son camp, est beaucoup occupée à procurer & à faire tout ce qui peut contribuer à le former ; & qu’en conséquence elle n’est pas en état de se mettre à l’abri des attaques de l’ennemi, s’il vient à [p. 163] la surprendre. Comme chaque soldat est occupé à son arrivée, c’est au partisan à prévoir tous les dangers auxquels il pourrait être exposé. Il doit donc s’informer & découvrir en quel endroit l’ennemi veut se camper, & le lieu où il est déja. Il se doit cacher & mettre en embuscade dans les environs, l’attaquer avec plusieurs détachemens, afin de l’inquiéter par différens endroits. Il faut qu’il en avertisse auparavant son général, qu’il lui communique entièrement son projet, qu’il lui indi-[p. 164] que l’endroit & l’heure de l’attaque, pour recevoir promptement tout le secours dont il a besoin. Le renfort que le général lui envoie, doit foncer à son arrivée, & faire irruption dans le camp ennemi ; desorte [sic] qu’il puisse y causer avec le corps du partisan, un tel désordre, que tout soit chez lui en confusion. Le général doit prendre ses mesures pour se mettre en marche, & arriver à propos au camp ennemi, afin de le forcer dans cet instant à en venir aux mains. On s’apperçoit facilement [p. 165] de l’avantage qui peut résulter d’un pareil combat. Le partisan ne doit pas ignorer la manœuvre qu’il est à propos de faire contre l’ennemi en de semblables affaires, pendant & après la bataille, pour profiter de tous les événemens qu’il n’oublie pas, sur-tout de faire allumer du feu en différens endroits du quartier général, afin de se donner par-là carriere de faire de grandes captures. Il doit auparavant diviser sa troupe en de petits détachemens, pour que chacun d’eux pille l’ennemi de tous côtés.

 

[p. 166]

Chapitre xviii.

De ce que doit observer le partisan sur l’armée ennemie en tems de pluye.

 

Aussi-tôt qu’il tombe une pluye un peu forte, & qu’il y a apparence qu’elle continuera pendant plusieurs heures, sur-tout si elle commence après minuit ou au point du jour ; le partisan doit toujours faire ensorte de profiter de ces circonstances. Il doit demander à son général un prompt secours de quelques mille chevaux, [p. 167] & concerter avec celui qui commande le renfort, afin de foncer par différens côtés sur l’ennemi ; mais qu’ils prennent garde de s’exposer en s’arrêtant trop longtems, parce qu’on pourrait empêcher leur retraite, dont le lieu doit déjà être marqué. Ayant fait leur coup, qu’ils se retirent au grand galop, jusqu’à une distance convenable, pour se garantir de la cavalerie ennemie, qui ne manquerait pas de les poursuivre. En observant cette manœuvre, le partisan ne peut guères être surpris, & donne [p. 168] les moyens à son armée de ne pas l’être. Il doit avoir soin, dans le tems que le général livre la bataille, de détacher quelques troupes, & de les envoyer derriere l’armée ennemie, pour observer tout ce qui s’y passe pour arrêter les couriers [sic] que le commandant ennemi expédie à son souverain, après le combat, les soldats qui sont commis pour cet effet, doivent se saisir des paquets, & les porter aussi-tôt au partisan, qui ne doit pas manquer de les remettre au général, afin qu’il [p. 169] puisse connaître l’état de l’ennemi & les nouveaux projets qu’il a envie d’exécuter. Le général peut former prudemment les siens sur ceux de ses adversaires, ou s’opposer à la réussite qu’ils espèrent des leurs.

 

Chapitre xix.

De ce que doit faire le partisan, lorsque son général veut assiéger une ville.

 

Art. i

J’ai dit ci-devant que le partisan se doit créer des correspondances, [p. 170] & tous les espions qui lui sont nécessaires dans chaque ville ou place fortifiée, avant que la guerre soit commencée. Dès que son général lui a confié le dessein qu’il a d’assiéger telle ou telle ville, en tel ou tel tems, il doit aussi-tôt prendre connaissance de la force ou de la faiblesse de la place qui doit être assiégée, ainsi que du nombre des troupes que le commandant du lieu peut avoir ; afin de savoir ce qu’il est bon de faire & d’obmettre.

 

[p. 171]

Art. ii

Le partisan doit pareillement s’informer par ses correspondances, de tout l’état-major, des bourguemestres de la ville, de leurs penchans ou inclinations, &c. tâcher ensuite d’en gagner quelques-uns, s’il ne l’a déjà fait, pour lui être utiles dans le tems qu’il sera nécessaire.

 

Art. iii

Le partisan doit faire ensorte d’apprendre, par les mêmes voies, le détail exact des magasins, soit rations de bouche, soit fourrages [p. 172] qui sont destinées pour le soutien des assiégés, ainsi que de la quantité des habitans qui y sont, pour pouvoir calculer sur l’état des provisions, la consommation des vivres que peut faire chaque mois cette ville.

 

Art. iv

Le partisan doit aussi connaître par ses espions si l’arsenal de la ville ennemie est bien munie [sic] ; quelle quantité de poudre & de canon elle peut avoir ; leur qualité, de même les provisions de boulets. Lorsqu’il est pleinement [p. 173] instruit de tout, qu’il en fasse le rapport à son général, pour qu’il forme un projet là-dessus.

 

Art. v

Le tems favorable étant arrivé, & le général voulant faire le siège de ladite ville ; le partisan doit alors voltiger autour avec sa troupe, & se rendre maître de différens endroits qui en pourraient faciliter la défense aux assiégés, & qui pourraient être avantageux aux assiégeans. Il doit ensuite, autant qu’il le peut, former avec ses gens une espèce de cordon autour, & [p. 174] investir les passages & les communications jusqu’aux pieds des glacies [sic] ; empêcher que personne n’entre ni ne sorte, sur-tout qu’il fasse veiller par ses espions à tout ce qui se passe dans ces entrefaites chez l’ennemi, pour savoir si la garnison ne voudrait point faire une sortie, afin de voir s’il y aurait des moyens pour pouvoir s’opposer aux attaques des assiégeans, ou si elle ne pourrait inquiéter l’armée adversaire. Aussi-tôt que le général est arrivé pour faire le siège, il doit trouver fait [p. 175] par le partisan tout ce qui peut favoriser son entreprise ; ensuite il faut qu’il s’empare de tous les environs, après avoir reçu un fidele compte du partisan de tout ce qu’il a fait, de tout ce qu’il a pu apprendre, & de la façon dont il est convenu avec ses espions pour avoir journellement ou au moins toutes les fois qu’il en sera besoin, des nouvelles de la situation de l’ennemi, ou de ce qu’il voudrait entreprendre. Après cela le partisan doit des mettre avec son corps derriere l’armée, & empêcher qu’elle [p. 176] ne soit inquiétée de quelque côté que ce soit. Pendant ce tems il doit faire contribuer les lieux circonvoisins, & faire tout ce qui dépendra de lui, pour que son général ne manque ni d’argent ni d’autre chose, en cas qu’il ne pût en recevoir d’où il en attend. Qu’il fasse aussi enlever tous les chevaux, moutons, &c. Deux ou trois lieux [sic] aux environs, ainsi que les fourrages, sur-tout qu’il fasse ensorte de faire des ôtages le plus qu’il pourra pour en tirer des sommes nécessaires à son armée. Le général, [p. 177] doit s’assurer & se garantir contre l’ennemi, afin qu’il ne l’oblige pas à lever le siège.

 

Art. vi

Le partisan doit faire ses efforts pour communiquer aux personnes qu’il s’est attachées, dans le pays ennemi, les moyens de faire mettre le feu à tous les magasins, afin que le commandant de la garnison venant à manquer de tout, il soit forcé de se rendre.

 

[p. 178]

Chapitre xx.

Des moyens que peut employer le partisan pour prendre une ville sans l’assiéger.

 

Nous avons beaucoup d’exemples de différentes places prises, par le moyen des ruses & des stratagêmes, sans qu’on ait été obligé de sacrifier beaucoup d’hommes, & de faire une grande consommation d’argent pour le siège. Le général Laudon nous en fournit entre autres une [sic] exemple dans la prise de la ville de Sweidnitz, une [p. 179] des plus fortifiées de l’Europe. Il s’en empara avec une poignée de monde, presqu’à la vue de l’armée ennemie.

Le partisan doit donc imaginer, pour cet effet, un stratagême qui puisse le faire parvenir à une telle exécution.

On n’ignore pas que généralement parlant, on trouve dans toutes les villes & places, soit entre la noblesse, soit entre la bourgeoisie, la facilité de former quelque liaison directe ou indirecte, & de gagner parmi-elles, des per- [p. 180] sonnes qui veulent se prêter à la réussite de nos projets.

Si le partisan se rappelle bien la méthode que j’ai prescrite à ce sujet, & s’il s’est bien informé dans le voyage, qu’il doit avoir fait avant la guerre commencée, de tout ce qui peut contribuer à la facilité de ses entreprises subséquentes, il aura tout lieu d’espérer un heureux succès. Il peut encore se servir de cette ruse, envoyer un mois auparavant à-peu-près cent personnes de son corps (mais fidelles). Il doit les [p. 181] faire partir les unes après les autres, & auparavant les faire connaître les unes aux autres, soit en personnes mêmes, soit pas un signe quelconque. Il est nécessaire sur-tout, que chacune d’elles connoisse particulièrement deux ou trois autres personnes qui dirigent cette affaire dans les villes où elles vont. Etant arrivées, elles doivent chercher à s’y employer selon leur métier ; les unes en qualité d’ouvriers, les autres en qualité de soldat, ou en qualité de domestiques, &c. Après [p. 182] cela, leurs trois chefs doivent s’informer les uns par les autres où ces gens sont placés, afin de les trouver & conférer avec eux du dessein projetté. Ils doivent examiner les portes de la ville par dedans & par dehors ; la force de la garde qui y est ; remarquer les endroits les plus foibles, &c. ayant considéré avec attention toute la ville, ils détermineront entre eux le jour de l’exécution. Alors ils préviendront le partisan, pour qu’il ne manque pas de s’y rendre au temps marqué. Ce der- [p. 183] nier en instruira son général, e& lui demandera un secours de cavalerie, nécessaire pour son entreprise. Chaque cavalier doit avoir un grénadier [sic] derriere soi. Celui qui commande ce renfort convient, avec le partisan, du lieu du rendez-vous, qui doit être connu & examiné par avance, & qui doit être aux environs d’une lieue de la ville que l’on doit prendre. Ils doivent se masquer s’il est possible, par un bois qui les cache à l’ennemi. Après cela, le partisan avec l’officier, commandant [p. 184] du renfort, viendront au grand galop à l’heure marquée, pour entrer dans la ville par la porte, où [sic] l’endroit indiqué par l’un des trois chefs des espions qui s’y doit trouver avec ses gens, pour tuer sans bruit la garde en ce même instant. L’autre de ces trois doit, avec les siens, clouer les canons qui défendent cette porte ; & le troisième doit faire ensorte d’empêcher que le commandant de la place ne puisse donner ses ordres. Il faut que celui qui se rend maître de la porte, remette aux officiers, du [p. 185] secours envoyé, doit doivent déjà bien être instruits du poste que chacun d’eux doit occuper dans la ville, un de ces gens, pour mener chacun avec sa troupe, dans l’endroit dont on est convenu. Quand une telle manœuvre est bien combinée, on ne peut guères manquer son coup.

Il y a une infinité d’autres moyens, dont je ne parlerai pas ; qui doivent être la portée d’un bon partisan.

 

[p. 186]

[Chapitre xxi. – mention oubliée par l’imprimeur].

Des observations que doit faire le partisan au sujet d’une place que l’ennemi a assiégée.

 

Article premier

Si le commandant d’une place se trouve assiégé par l’ennemi, il faut qu’il se consulte promptement avec le partisan, soit de bouche, s’il est possible, soit par correspondances ou autres moyens sûrs. Ensuite le partisan ne doit rien négliger pour trouver de prompts expédiens, afin de fournir à la ville, tout ce qui est le [p. 187] plus nécessaire en vivres & en fourrages, en cas que la garnison & les habitans n’ayent pas une grande quantité de provisions. Il ne lui sera pas impossible d’imaginer quelques moyens par des coups hardis & rusés, d’y en faire passer.

 

Art. ii

Le partisan doit bien connoître la force des assiégeans, pour en instruire le commandant assiégé, & être de concert avec lui, afin de lui procurer le moyen de faire des sorties du côté que [p. 188] l’ennemi est le plus faible. Le jour & l’heure de cette sortie étant déterminé, il doit foncer avec toute sa force sur le camp des assiégeans, tâcher en même temps de clouer les canons dressés devant la ville, particulierement ceux de l’endroit par où doit se faire la sortie.

 

Art. iii

Le partisan doit se servir de toutes ses ruses, pour faire mettre le feu dans le camp ennemi, brûler ses chariots d’amunitions [sic], & embraser ses magasins de poudre. Il doit enfin l’inquiéter jour & nuit [p. 189] pour le fatiguer, & lui causer beaucoup de désertion.

 

Art. iv

Il doit continuellement veiller pour intercepter les lettres & arrêter les correspondances de l’armée ennemie ; pour enlever tous les convois destinés pour le siège ; s’emparer ou ruiner dans les villages voisins de son camp, tout ce qui pourrait la favoriser en son projet, comme vivres, bestiaux, &c. Enfin il doit tâcher de la forcer à lever le siège.

 

[p. 190]

Art. v

Si le partisan vient à savoir par ses espions que les assiégeans sont dans la peine, ou mécontens par les fatigues & les travaux continuels qu’ils sont obligés d’essuyer, qu’il en informe sur le champ le commandant de la place, pour faire dans ce temps une seconde sortie. Il doit auparavant demander à son général un renfort de cavalerie. Ce secours étant arrivé, & tout étant bien combiné, il doit tomber sur l’ennemi par différens endroits ; tâcher par cette [p. 191] interruption, s’il vient à se retirer, de le poursuivre sans quartier dans sa retraite, sur-tout s’il ne peut avoir aucun secours.

 

Chapitre xxii.

De ce que doit observer le partisan sur ses patrouilles & sur celles de l’ennemi.

 

Article premier

Le partisan ne doit jamais manquer, sur-tout s’il prémédite quelqu’entreprises de conséquence ; de bien instruire sa patrouille, [p. 192] ainsi que chaque officier détaché, soit pour le piquet ou autre poste, qu’un chacun doit faire.

Il est nécessaire que chaques patrouilles [sic] prennent de bons guides, si elles ne connaissent pas assez le terrein. Elles doivent se faire bien expliquer par ces guides, les différens chemins & les différens sentiers qui se rencontrent dans le pays, afin qu’en les traversant, elles ne s’exposent à aucun danger, sur-tout si elles marchent du côté qu’elles prévoyent rencontrer les patrouilles enne- [p. 193] mies, selon les indications que le partisan leur a donné.

 

Art. ii

Le partisan doit toujours envoyer deux autres patrouilles après la premiere, l’une à droite & l’autre à gauche, pour la soutenir en cas d’accident ; parce qu’ordinairement celles de l’ennemi se cachent en de petits bosquets ou ravins pour surprendre leurs adversaires, & pour empêcher leur retour.

 

Art. iii

Le partisan doit donner un [p. 194] fois [sic] pour toujours, toutes les instructions nécessaires à ceux qui commandent les patrouilles : qu’ils fassent marcher leurs guides aux environs, cent pas en avant, (quand ils sont sûrs d’eux) pour visiter les lieux suspects, & voir s’il n’y aurait point quelqu’ennemi en embuscade, il doit convenir avec eux d’un certain signal, pour savoir s’ils auraient eu le malheur d’être pris par l’ennemi ; afin qu’eux-mêmes ne tombent pas imprudemment entre les mains de leurs adversaires.

 

[p. 195]

Art. iv

Les patrouilles doivent bien se reconnaître à quelque signal qui leur fasse entendre que celle qui est à droite, ou celle qui est à gauche, vienne promptement à leur secours en cas de besoin, si elles veulent couper la retraite de la patrouille adversaire, & que l’une d’elles ne fût pas assez forte pour ce sujet ; il est très-essentiel de mettre tout en usage pour cela, sur-tout, lorsque le partisan veut surprendre l’ennemi dans son camp, ou qu’il veut exécuter quel- [p. 196] qu’autre affaire de conséquence. Les patrouilles doivent aussi arrêter toutes les autres personnes qu’elles rencontrent, pour qu’elles ne passent pas chez l’ennemi, & qu’elles n’aillent pas du côté d’où les patrouilles adversaires viennent.

 

Art. v

Enfin il est nécessaire que le partisan ou ses officiers détachés, envoyent toujours quelques espions d’avance, après les avoir bien instruits pour se mettre dans une plus grande sûreté, soit pour [p. 197] attaquer, soit pour se défendre.

 

Art. vi

Que le partisan ou ses officiers défendent expressément à leurs patrouilles, de ne jamais faire plus que leurs ordres ne portent, de ne jamais s’arrêter dans les villages ou maisons particulieres, soit pour avoir des vivres, soit pour piller ou faire en cachette quelques petites captures pour elles, parce que dans cet intervale [sic], elles pourraient exposer leurs corps à être surpris par l’ennemi, & s’exposeraient elle-mêmes à se [p. 198] faire couper la retraite, & à être faites prisonnieres.

 

Chapitre xxiii.

D’un moyen dont peut user le partisan au commencement de la guerre, pour procurer une paix très-avantageuse au monarque & à l’état qu’il sert.

 

Si un Souverain, contre lequel le partisan porte les armes, se trouve à la tête de son armée, comme cela arrive très-souvent ; le partisan doit engager deux ou trois jeunes officiers, sous l’assu- [p. 199] rance de leur fortune, & les instruire des différentes ruses & moyens dont ils doivent se servir pour l’enlever ; afin que si l’un venait à manquer, ils eussent recours à l’autre.

On sçait qu’il arrive souvent qu’un Souverain s’expose, en n’ayant pas pour soi toute l’attention qu’il se doit, & n’ayant pas avec lui la garde qui lui est nécessaire pour se mettre à couvert de tout danger, soit qu’il aille prendre connaissance par lui-même du camp de l’ennemi, ou visiter les envi- [p. 200] rons du sien, soit qu’il fasse des parties de chasse ou d’autres plaisirs. Ces deux ou trois officiers, dont l’unique soin est de le faire observer, doivent avoir des espions les plus fidèls [sic]. Ces espions doivent être placés dans son camp, pour avoir les rapports les plus prompts & les plus exacts de tout ce que le souverain fait & veut faire chaque jour. Il faut que les officiers n’ayent avec eux que douze houssards chacun, mais bien choisis ; ils se doivent servir de différens uniformes, en roulant [p. 201] toujours derriere l’armée ennemie. Ils doivent être tous les trois de concert sur-tout ce qu’ils doivent faire, pour pouvoir se donner journellement des nouvelles les uns aux autres, & profiter ensemble du moment qui leur paraîtra le plus favorable pour exécuter leur coup. L’heure la plus avantageuse est celle pendant laquelle il se donne un combat : c’est dans cet instant que tout le monde est occupé, & que le souverain est quelquefois seul derriere l’armée, du moins n’a que quelques officiers [p. 202] avec lui, pour examiner le combat, & pour faire donner ses ordres à ses généraux ; c’est dans ce temps, qu’un partisan bien rusée [sic], ou un de ses officiers, doit hasarder ce coup hardi (ils doivent alors endosser l’uniforme des houssards ennemis) & courir au grand galop vers le souverain, sous prétexte de lui donner des nouvelles, ou de lui faire quelques rapports, dont ils sont supposés chargés. Si ce coup ne leur réussit pas, ils ne risquent rien, parce qu’ils peuvent se retirer & se sauver, [p. 203] sans encourir le moindre risque ; & s’ils sont assez heureux pour que leur dessein ne manque pas, ils procurent à leur patrie un avantage très-considérable ; la campagne se trouve déjà finie, & ils font la paix plus glorieuse.

Le partisan peut faire la même chose vis-à-vis des princes, des généraux, &c. de l’armée ennemie ; car il ne peut manquer d’en tirer des sommes considérables.

 

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Chapitre xxiv.

Observation générale pour un partisan.

 

Art. i

Le partisan doit se faire une loi de ne garder jamais avec lui moins de trois cens houssards & cent chasseurs, en quelqu’entreprise, quelque attaque, ou en l’exécution de quelque projet que ce soit, soit qu’il se trouve en cas offensif ou défensif, afin d’être toujours en état de porter secours au pre- [p. 205] mier de ses détachemens qui pourrait en avoir besoin, & afin de se défendre & de se garantir lui-même en toutes circonstances.

 

Art. ii

Il peut arriver dans le cours d’une campagne une infinité de cas particuliers, qu’on ne peut circonstancier ni détailler ; c’est au partisan qui doit être le gouvernail de tout ce qui peut arriver, à prévoir, & à savoir ce qu’il doit faire. Ses lumieres & l’art consommé qu’il est censé posséder dans cette partie, doivent sup- [p. 206] pléer à tout ce que je n’ai point traité.

 

Art. iii

Je crois avoir donné des instructions suffisantes sur les grands événemens qui ont coutume d’arriver en général. Le partisan peut se régler, en réfléchissant sur les principes que j’ai avancé. Qu’il combine toujours bien ses entreprises, pour donner une heureuse réussite à ses projets & à ceux de son général. En le faisant, il ne manquera guères de satisfaire son souverain & la patrie qu’il sert.

FIN.